Au Cameroun, la vidéo de Longuè Longuè cache-t-elle une guerre des clans dans l’armée ?

Le musicien camerounais a publié le 23 octobre une vidéo dans laquelle il est victime de sévices dans les locaux de la Sécurité militaire. L’affaire a indigné Yaoundé. Elle pourrait surtout cacher une lutte de pouvoirs sans précédent au sein des services de sécurité de Paul Biya.

Texte et credit photo, Yves Plumey Bobo de jeune Afrique
Publié le 30 octobre 2024

La vidéo de Simon Longkana Agno, alias l’artiste Longuè Longuè, n’en finit plus de défrayer la chronique au Cameroun. On y voit le musicien être soumis à des actes de torture au sein de locaux identifiés comme ceux de la Sécurité militaire (Semil) de Douala. Les faits remontent à 2019, alors que Longuè Longuè avait été convoqué avant d’être détenu pour interrogatoire.

Partisan d’Akere Muna, candidat à la présidentielle de 2018, Longuè Longuè avait basculé progressivement dans le camp du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC, de Maurice Kamto). Très critique à l’égard du pouvoir de Paul Biya, il l’avait accusé d’avoir volé l’élection à la magistrature suprême. Convoqué à deux reprises par la Semil mais laissé libre, le musicien avait poursuivi ses diatribes sur les réseaux sociaux.

L’ire de Chantal Biya

Longuè Longuè avait notamment sorti une chanson intitulée « Papa va te reposer », en référence au chef de l’État. Dans une vidéo, il évoquait également la première dame, Chantal Biya, en ces termes : « [Paul Biya] pour ta femme, ne t’inquiète pas, elle est encore jeune, on va s’en occuper. » Des propos qui ont provoqué l’ire de l’intéressée, qui avait pourtant montré quelques sympathies pour l’artiste quelques années auparavant.

Selon nos informations, c’est cette même Chantal Biya qui aurait poussé le contre-amiral Joseph Fouda à demander à ce que Longuè Longuè soit de nouveau entendu par la Semil en mai 2019. Le conseiller spécial de Paul Biya aurait alors fait transmettre cette volonté par celui qui était à l’époque l’un de ses hommes de main, Hervé Parfait Mbapou, qui dispose de contacts à la Sécurité militaire.

Longuè Longuè est alors convoqué par la Semil, puis violemment interrogé par les hommes du commandant et capitaine de frégate Bernard Mbu Tabala, en l’absence du colonel Joël Émile Bamkoui, le patron du service, en Chine au moment des faits. Ce dernier appellera plus tard Longuè Longuè pour lui faire savoir qu’il a ordonné sa libération immédiate.

Dans des confidences accordées à Jeune Afrique, Longuè Longuè affirme que c’est le commandant Mbu Tabala, avec qui il entretenait à l’époque des liens d’amitié, qui filme les images ayant refait surface en octobre sur les réseaux sociaux, provoquant l’indignation de Yaoundé. Il estime toutefois que la responsabilité de cette séance de torture incombe au colonel Joël Émile Bamkoui.

Règlement de comptes

Après avoir filmé la scène de torture, Bernard Mbu Tabala a transmis la vidéo à Hervé Parfait Mbapou, qui s’est ensuite empressé de l’envoyer à Joseph Fouda. Longuè Longuè assure aujourd’hui que le fichier lui aurait été transmis par Patrice Nouma, un activiste, déserteur de l’armée camerounaise, réfugié aux États-Unis, qui l’aurait lui-même reçu de Mbapou en 2019, gardant la vidéo secrète ces quatre dernières années.

Mais, selon nos sources, la réalité est bien différente. La vidéo a été retrouvée et extraite d’un téléphone et d’un compte iCloud d’Hervé Parfait Mbapou, à la faveur de son arrestation. Soupçonné d’avoir orchestré un vaste réseau d’escroqueries, impliquant notamment Joseph Fouda, il a passé plusieurs mois en détention avant d’être libéré en septembre dernier.

Ce sont des gendarmes du secrétariat d’État à la Défense (SED), où Mbapou a un temps été détenu, qui ont exhumé le fichier et l’ont envoyé à Patrice Nouma, il y a à peine une semaine. L’exilé s’est alors chargé de faire parvenir la vidéo à Longuè Longuè, via un des amis proches du musicien, William de Jésus. Le colonel Bamkoui, principal accusé depuis la parution de cette vidéo, est-il la cible d’une opération de déstabilisation ?

C’est en tout cas ce que croient ses partisans, qui estiment que des réseaux proches de Joseph Fouda au SED ont profité des fichiers récupérés sur le téléphone d’Hervé Parfait Mbapou pour s’attaquer à la Semil. Le contre-amiral, fragilisé depuis l’éclosion de l’affaire dans laquelle Mbapou est accusé d’escroquerie, est actuellement très contesté au sein du cercle présidentiel, et notamment par la première dame Chantal Biya.

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