Jean Marie Mollo Olinga, Une vie de critique de cinéma

Prix d’Honneur du 7e anniversaire des LFC AWARDS, le journaliste spécialisé en critique
cinématographique, Jean-Marie Mollo Olinga (J-M.M.O) s’est livré à notre rédaction( NO’OCULTURES)

Vous avez été sacré Prix d’Honneur aux
LFC Awards 2024, quelle appréciation
en faites-vous
?

J-M.MO: C’est, à mon avis, la reconnaissance
d’un travail de longue haleine. Il n’est pas
courant que l’on distingue des critiques, je
crois que LFC Awards inaugure là une tradition
qui va perdurer. Je suis d’autant plus heureux
de recevoir cette récompense qu’elle vient des
jeunes, donc de l’avenir du pays, des jeunes
qui font ainsi un pied-de-nez à leurs aînés
qui n’y ont jamais pensé.
J’en profite donc pour dire un immense merci
au comité d’organisation, particulièrement à
sa présidente, Mme Françoise Ellong-Gomez,
je leur adresse mes chaleureuses félicitations
pour cette très belle initiative.

Jean-Marie MOLLO OLINGA, c’est
toute une vie consacrée au cinéma sans
reconnaissance des pouvoirs publics
de votre pays. Avez-vous le sentiment
d’une injustice à votre endroit ?

J-M.M.O : Je peux effectivement et à juste
titre le ressentir comme une injustice, parce
que j’ai déjà eu à plusieurs reprises à porter
le nom du Cameroun dans bien des endroits
dans le monde.
Tenez ! Il y a quelques années, le ministère
de la Culture avait fait décorer un certain
nombre d’acteurs culturels, mais j’avais
été souverainement ignoré. Pourtant,
relativement au cinéma, dans ce pays, nous ne
sommes qu’une poignée, à avoir été désignés
membres d’un jury officiel au FESPACO. Et
s’agissant de jurys, j’en ai été membre dans
un certain nombre de festivals prestigieux de
par le monde, où l’on me considérait comme
un Africain-Américain et où, chaque fois, je
devais solennellement préciser que je suis
Camerounais, portant ainsi haut l’étendard
de mon pays.
En outre, en 2001, j’ai été élu tout premier
président de Ciné-Press, l’Association
camerounaise des journalistes critiques
de cinéma. J’en suis l’un des membres
fondateurs. En 2004, j’ai été élu vice-président
de la Fédération africaine de la critique
cinématographique (FACC) à Tunis. J’en suis
d’ailleurs, aussi, l’un des membres fondateurs.
A ce sujet, il me souvient que le directeur de
la Cinématographie de l’époque avait préparé
une lettre de félicitations pour moi et l’avait
soumise à son ministre, ministre d’Etat. Celleci est restée, c’est l’occasion de le dire, lettre
morte. J’ai néanmoins occupé le poste jusqu’en
2009.
Je vous donne quelques autres faits qui
peuvent constituer des motifs de frustration.
Voyez-vous, en 2005, j’avais été pressenti pour
le poste de vice-président de la Fédération
internationale de la presse cinématographique,
la FIPRESCI. Jusqu’à la veille de l’Assemblée
générale qui se tenait en Italie, on attendait
mon arrivée. J’avais vainement demandé un
billet d’avion au ministère de la Culture. Et
comme le poste devait revenir à l’Afrique, un
Tunisien m’avait remplacé au pied levé et avait
été choisi pour l’occuper.
Par ailleurs, savez-vous que je fais partie
de l’équipe qui a conçu les programmes
d’enseignement de cinéma au Cameroun pour
les classes de seconde, première et terminale
? Pour cela, des inspecteurs du ministère des
Enseignements secondaires, alors chapeauté
par M. Ngalle Bibehe, sont allés en Europe
chercher des experts. Rendus en Allemagne,
on leur a dit qu’il y avait un Camerounais
du nom de Jean-Marie MOLLO OLINGA qui,
dix ans durant, allait leur parler du cinéma
africain. Les Allemands avaient donc estimé
que les Camerounais disposaient, sur place,
de l’un des fameux experts qu’ils allaient
chercher en Europe. C’est ainsi qu’ils leur
avaient donné mon numéro de téléphone. Au
retour, M. Charles Etoundi, un inspecteur du
ministère, m’avait appelé pour me demander
si je pouvais accepter de m’acquitter de
cette tâche, ignorant que les Allemands
m’avaient déjà fait part de leur étonnement.
Naturellement, je ne pouvais refuser un tel
honneur, ce d’autant que M. Ngalle Bibehe
lui-même m’avait adressé une lettre dans
ce sens. Il me fut demandé d’associer deux
autres personnes. Je fis donc appel à JeanPierre Bekolo et à Yolande Ekoumou, qui
connaissent très bien le cinéma. Le ministère
avait contacté Bassek Ba Kobhio et, avec le
concours des inspecteurs pédagogiques du
ministère et d’autres personnalités ressources
du monde universitaire, nous avons concocté
ces programmes. Cela ne mérite-t-il pas une
distinction ?

Quel regard jetez-vous sur la critique
cinématographique en Afrique, en
général, et au Cameroun en particulier ?

J-M.M.O : Un regard… avec des yeux de
Chimène. Je suis de ceux qui ont dessiné
le cadre de l’exercice du métier de critique
cinématographique en Afrique, car c’est un
métier. Je dois dire que je suis heureux et fier
des critiques cinématographiques africains
dont les articles ont changé la perception des
films du continent. Dans l’ensemble, ils font un
excellent travail, ils ont énormément valorisé
les œuvres du continent. Voyez-vous, c’est
grâce à eux que les Occidentaux se gardent
désormais de regarder les films africains
uniquement avec leurs lunettes ; ils tiennent
maintenant compte qu’on fait le cinéma
comme on vit, tel que j’ai pris l’habitude de
la clamer, et que les Africains ne sauraient
donc faire abstraction de leur vécu dans leurs
films pour épouser le vécu des autres. Ce
serait pérenniser la colonisation.
Quant aux critiques camerounais, ils devraient
travailler à être beaucoup plus visibles.
Beaucoup ont été formés, mais très peu
travaillent effectivement. Or, c’est en forgeant
qu’on devient forgeron. Cependant, un certain
nombre ont déjà été sollicités dans des jurys
internationaux, ce qui est encourageant.
J’espère que les autres vont en prendre de
la graine.

Vous êtes le défenseur d’une théorie
d’un critique camerounais, sénégalais…
Avant d’être un critique africain. Sur
quoi vous appuyez-vous ?

J-M.M.O : On fait le cinéma comme on
vit. On regarde un film avec son vécu. Un
Camerounais, un Sénégalais, un Malgache,
un Egyptien ou un Kényan, entre autres,
ne regardent pas un même film de la
même manière. Les autres ont mis les pays
africains dans un tout, alors que l’Afrique est
plurielle. Elle est bantouphone, zoulouphone,
arabophone, lingalophone, swahilophone, etc.
Elle est animiste, chrétienne, islamique, etc.
Croyez-vous que tout cela n’influe pas dans
le regard que nous portons sur les films ? Je
me définis donc d’abord comme Camerounais
avant de me définir comme Africain. Et en
tant qu’Africain, je regarde un film après avoir
chaussé les lunettes de mes valeurs, qui ne
sont pas forcément celles des autres. Comme
critique, je dois faire l’effort de prendre en
compte ces valeurs des autres, ce qui n’a pas
toujours été le cas de ceux qui, pour reprendre
Régis Debray, ont enlevé le casque, mais ont
gardé la tête coloniale. Le critique africain
doit toujours avoir en perspective ce que le
cinéma de son continent apporte au rendezvous du donner et du recevoir.

Quels sont les éléments essentiels d’une
bonne critique cinématographique ?

J-M.M.O : Vaste programme ! C’est l’objet
de tout un cours. Mais, très succinctement,
je dirais qu’il ne faut pas se laisser dominer
par le film. Le critique doit demeurer actif de
façon raisonnée et structurée. Il doit regarder,
écouter, observer, visionner le film, guetter,
chercher des indices. Pour cela, il doit créer de
la distance entre le film et lui, car le film, pour
le critique, relève du domaine de la réflexion

Source : NO’OCULTURES N°10 – FÉVRIER 2025 , pages 63 à 65

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