Il est question de reconnaître et rendre "le m’mouat" visible

Brigitte Nga ONDIGUI est une doctorante qui s’investit dans ce costume comme un point clé de sa recherche doctorale au même moment qu’elle s’emploie à organiser des parades d’exhibition pour qu’il soit non seulement connu, mais que les Camerounais le considèrent comme patrimoine mémoriel qui peut constituer un instrument d’influence au niveau mondial.

Dans quel contexte avez-vous organisé le 29 août dernier à Yaoundé la journée d’étude et défilé de mode ?

La journée d’étude s’inscrit dans le cadre de la finalisation de Ma rédaction doctorale au programme Interuniversitaire en Histoire de l’art à l’UQAM (Université du Québec à Montréal).

Il a été organisée, le 29 août dernier à l’Ecole supérieure polytechnique de Yaoundé, une journée d’étude avec des experts du costume authentique et chercheurs camerounais sur le patrimoine. La journée d’étude a servi à faire un bilan critique sur les enjeux culturels du m’mouat, les perspectives de recherches axées sur les vêtements, parures, ornementiques… et a participé dans une certaine mesure à l’édification des publics présents et futurs mais encore à une dynamique holistique et transdisciplinaire.

Comment le m’mouat, costume, autrefois porteur de statuts sociaux et de valeurs ancestrales, est-il aujourd’hui réinvesti ?

La parade de mode , Nkil M’mouat , qui est  la dimension intervention de ma recherche doctorale, a permis de fédérer le temps d’un événement des designers qui créent avec l’obom ( tissu tiré de l’écorce battue) et qui contribuent ainsi à une transformation des usages associés au m’mouat dans un contexte postcolonial.



Il a été question de faire un ensemble de démonstration et de communication autour du m’mouat et du Nkil m’mouat? Pouvez-vous expliquer la portée artistique et anthropologique de ces deux mots ?

Clarifier le concept de costume dans un vaste champ d’approches définitionnelles, épistémiques est un enjeu très important dans la compréhension de mon corpus. Cela participe à faire évoluer le débat au niveau de l’acceptation de cet élément de la culture à travers les époques, lieux et milieux. Le costume selon plusieurs conceptions est un enjeu très important dans la compréhension de la culture des peuples. La notion de costume est assez ambiguë, en ceci qu’elle engage plusieurs paramètres tenant compte des aspects significatif et contextuel. Or l’étude de ce dernier se subordonne aussi bien à un ensemble de facteurs émanant du savoir-faire, de la manière de vivre spécifique à chaque peuple ; qu’aux matériaux qui sont disponibles localement.

Au Cameroun notamment, l’histoire du costume révèle les significations culturelles et les tendances actuelles dans les quatre aires culturelles. Dans celles-ci, les imaginaires vestimentaires présentent une riche diversité dans laquelle se mêlent les savoirs, savoir-faire, la sagesse d’autrefois, les aspirations et les besoins, la spiritualité des peuples qui les ont produits. De la naissance aux rites de passage, en passant par le mariage, les semailles, les funérailles, les festivals ; la multiplicité des costumes par leurs couleurs et motifs, leurs symboles, la spécificité locale des matériaux renferment des croyances, des valeurs, l’histoire qui sous-tend les communautés et des modes de vie particuliers (Coquet, 1993 ; Mveng, 1980 ). Cependant, dans le cadre de la décolonisation des savoirs, des épistémologies décoloniales , qui me sont chères, j’invoque le concept M’mouat en ma langue Ekang, Eton, pour nommer le Costume traditionnel.

Le m’mouat désigne donc une manière spécifique de se vêtir. C’est un ensemble de pièces de l’habillement Ekang. Le m’mouat (en tant que vêtement, modifications corporelles, ornement, parure de tête, maroquinerie) reflète les choix esthétiques chez les créateurs de ce dernier et parfois du détenteur. La combinaison d’habits, de modifications corporelles (éphémères ou permanentes) et de tous ces accessoires forment des élocutions profondément enracinées dans leurs valeurs et imaginaire culturel. Et, dans une perspective « du maintien en éveil » de l’histoire des communautés, « du maintien de la mémoire » d’un pays, une réécriture de soi est envisageable.

Nkil M’mouat, dont la première notion fait allusion à la piste utilisée par un animal en brousse, peut s’apparenter à Nkilzok (la piste de l’éléphant). On sait généralement que « le chemin » de l’éléphant ne peut être petit. Ainsi, le m’mouat (costume traditionnel) est à ce stade où il veut se décoloniser des clichés occidentalo-centrés et s’affirmer. Dans cette optique, un immense boulevard s’ouvre au m’mouat aussi bien à l’échelle nationale, régionale, qu’internationale. Ce boulevard se veut florissant et où tout le monde est appelé à collaborer et à être en action. Cette Recherche- Intervention, Nkil M’mouat permet la valorisation du m’mouat dans l’univers scientifique international. Ainsi, par la médiation de la parade de mode, il sera question de matérialiser le m’mouat en obom, dans le but de mieux cerner et appréhender cet élément de la culture. Ce défilé de mode sera un terrain de recherche et d’action permettant d’analyser à la fois des œuvres et la perspective des créateurs et créatrices de celles-ci dans un contexte de mobilisation du milieu et de mise en visibilité des mutations que subit ces pratiques vestimentaires chez ces peuples Ekang du plateau sud camerounais.

Pourquoi avez-vous associé d’autres chercheurs sur le costume, notamment les designers et les chercheurs ayant intervenu lors du panel?

Pour les designers de mode, ils sont au cœur des usages actuels du m’mouat et sont les acteurs clés de sa revitalisation, sa résurgence dans un monde postcolonial. Je souhaite contribuer au truchement de cette parade, au savoir sur la réappropriation contemporaine du m’mouat. L’un des apports de ma thèse est de documenter cette réalité rétive qui est presque inexistante dans les ouvrages. Or, la résurgence du m’mouat, plus d’une soixantaine d’années après les indépendances s’est accrue et beaucoup plus démocratisée en territoire Ekang. De fait, il est important de présenter dans quelle mesure cette réappropriation participe au mouvement décolonial. Chaque designer de mode qui crée avec l’obom a sa spécificité créative. Et les rassembler lors d’un même événement permet de mieux palper cette richesse. C’est un patrimoine commun, une mémoire collective. En mobilisant le milieu de la mode Ekang, il est question de reconnaître et rendre le m’mouat visible à des sphères plus larges que le territoire camerounais; participant ainsi à la revitalisation du m’mouat et à la promotion de cette culture, tout en renforçant la cohésion communautaire.

Quelle est la plus-value de leur communication dans votre recherche doctorale ?

Ces communications ont servi de prétexte pour introduire Le Nkil M’mouat, qui est l’élément central de ma recherche -intervention. Il s’agit d’édifier et d’éduquer le public et la communauté scientifique et culturelle sur les approches transdisciplinaires en lien avec le m’mouat en Afrique, notamment au Cameroun. Ces communications éducatives servent à galvaniser les générations présentes et futures dans la réappropriation, la valorisation et promotion de nos savoirs endogènes, dans un monde phagocyté par les épistémologies occidentales. En ce qui concerne le panel, je tiens à formuler mes reconnaissances aux amis qui m’ont précédée dans la recherche et qui m’ont fait l’agréable devoir d’accepter de partager leurs connaissances de costumes et matières. Je pense au Dr Cedric Kengmo qui a exposé sur « le Ndop, miroir de l’identité : une analyse sociologique des usages et appropriation du vêtement traditionnel bamiléké, de Anna Bernadette Awoundja Bodo qui nous a plongés dans ses expériences avec le costume métissé aux estampilles de la marque Vlisco, de Dr Damaris Edwige Hagbe qui a entretenu le public sur le  « symbole du textile africain dans les journées culturelles au Lycée de Nkolbisson, de Dr Kampoer qui a expliqué le patrimoine vestimentaire des peuples Ngoumba de Kribi, du Dr Sanama Nguille qui porté son exposé sur le costume au cinéma. Ces différentes communications ont permis de comprendre que le costume dans d’autres expressions artistiques peut déjà être une solution de la crise de l’identité culturelle camerounaise. Je salue surtout le Pr Narcisse Tchandeu qui a modéré la table ronde avec maestria.

Quelle peut être la perspective d’un tel travail dans la crise de l’art camerounais ?


Je parlerai de perspectives à plusieurs niveaux. Avec la survivance de la culture résiduelle qu’est l’obom, la décolonisation des savoirs demeure un enjeu majeur. Et l’obom, cet héritage ancestral résiste à l’effacement, à l’appropriation culturelle et à ce que je nomme afrodestructisme. L’obom devient cet intangible patrimoine. On a également ce côté de réécriture de soi, résistance culturelle, revihybridation culturelle (j’associe dans ce concept le révisionnisme et l’hybridation culturelle), résilience identitaire, qui ressort. Cette journée d’étude et la parade de mode servent in fine de catalyseur à l’entrepreneuriat local dans un contexte où l’Etat n’est plus l’unique pourvoyeur de richesses.

Entretien realisé Par Alain Ndanga, credit photos: Brigitte Nga ONDIGUI

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