Focus Média Afrique

Assemblée Nationale : Des transformations majeures dans la gestion de la fiscalité des Collectivités territoriales décentralisées


L’examen du projet de loi sur la fiscalité locale validé par le Parlement apportera des changements significatifs dans l’écosystème locale. NKE Joseph Anicet : Expert/ Consultant en Décentralisation/ Gouvernance Et finances Publiques Locales.\ Finance Climat. / Coordonnateur du Réseau Cameroun Open Participatory Budget\ Chercheur à International Budget Partnership (IBP). / Spécialiste en Open Data nous permet de mieux comprendre les reformes sur la fiscalité locale.


Focus Médias Afrique : Quelle lecture faites-vous du processus de décentralisation en vigueur au Cameroun ?
NKE Joseph Anicet : Le nouveau cheval de bataille pour le développement au Cameroun porte un nom : la décentralisation. Celle-ci consiste en la cession progressive par l’Etat central aux collectivités territoriales décentralisées, des compétences non exclusives accompagnées de ressources humaines, techniques, matérielles et financières adéquates.
Il existe certes un arsenal de textes et arrêtés pour le pilotage de la Décentralisation, de la Fiscalité locale, de l’Intercommunalité. Un arsenal de textes qu’il faut parfois mieux s’approprier par les différents acteurs afin de les respecter. Pour nous une décentralisation véritable rend effective la participation des citoyens à la gestion des affaires locales, porteuse de réels espoirs de développement durable.
La commune est avec la région, les bras séculiers de cette politique ou de cette stratégie. Avec la création d’un ministère entièrement et spécifiquement dédié à la cause de la Décentralisation la température est montée d’un cran ! un MINDDEVEL avec pour mission de renforcer et accélérer le processus de développement local et de décentralisation.
Mais il reste que l’implication des communes dans le développement local et rural, tout comme le lien avec les effets du changement climatique sont encore timides au Cameroun.
On note une faible prise en compte du changement climatique.
Les communes souffrent aussi d’un manque de capacités et de ressources pour mettre en œuvre des actions de développement durable.
Ces deux dimensions restent pourtant des éléments clés pour réaliser la vision de développement Cameroun 2035.


Focus Médias Afrique : Le transfert de ressources financières est un véritable frein à l’autonomisation des communes. Qu’est-ce qui peut justifier ce blocage ? La volonté politique ? L’ignorance ou l’absence desdites ressources ?


NKE Joseph Anicet : Il est impérieux, dans le processus de décentralisation, de se pencher sérieusement sur la question du transfert de ressources financières qui est un véritable frein à l’autonomisation des communes, parce que la décentralisation promeut le développement local. Les deux, fondamentalement, exigent une autonomie financière appropriée de la part des CTD.
L’autonomie administrative et financière consacrée par la loi est fragilisée par des ressources humaines et financières limitées. Dans le cadre du financement de la décentralisation, l’Etat utilise deux modalités à savoir : le transfert des ressources (pour les compétences exercées et non exercées) et le transfert de fiscalité. Les ressources transférées par l’Etat au CTD en 2024 par exemple, s’élevaient à 292,5 milliards de FCFA en hausse de 39,9 milliards de FCFA par rapport à 2023. Par ailleurs, les ressources rattachées aux compétences non encore exercées par les CTD s’élevaient à 581,2 milliards de FCFA dans la loi de finance 2024.
Certes les efforts sont faits pour accroitre ces ressources transférées aux CTD qui sont destinées à la construction des dispensaires, hangars, boutiques, marchés et gares routières, réhabilitation des infrastructures routières et scolaires, réalisation de dalots et ponceaux…, mais elles restent encore limitées pour financer le développement local.
Nous pensons aussi que les communes ne sont pas encore suffisamment équipées pour exercer efficacement et durablement les compétences qui leur ont été légalement transférées. Elles disposent en effet de compétences sur le papier, transférées depuis 2010 et 2011, mais l’exercice réel de celles-ci est limité par l’absence de ressources humaines, quantitativement et qualitativement, le peu de moyens matériels et de surcroît, l’absence de ressources financières suffisamment prévisibles et conséquentes.
Les autorités déconcentrées restent très présentes et continuent d’exercer dans la pratique ces compétences même si les CTD sont censées en assurer la maîtrise d’ouvrage et d’œuvre. L’obligation légale de l’État de transférer annuellement 15% du budget général à la Dotation générale de la décentralisation (DGD) n’est par ailleurs pas respectée et les dotations restent forfaitaires pour certains secteurs, indépendamment des besoins spécifiques des CTD.
La gestion des finances locales n’est pas modernisée et la mobilisation des ressources financières locales reste limitée par un cadre législatif restrictif, heureusement que le nouveau projet de loi portant fiscalité locale est en cours adoption en ce moment par le parlement. Il faut rappeler ce projet de loi sur la fiscalité locale a été déposé à l’Assemblée Nationale le 13 Novembre 2024 charrie beaucoup d’espoir.

Focus Médias Afrique : En ce moment le parlement examine un projet de loi sur la fiscalité locale, vous qui avez lu ce document qu’est ce qu’il apporte de nouveau à la loi de 2009? Qu’est-ce qui va changer ? Quels sont les insuffisances de ce projet de loi ?
NKE Joseph Anicet : Le nouveau projet de loi sur la fiscalité locale présenté par le Ministre de la Décentralisation et du Développement Local et porté par le CVUC et un ensemble des Maires est un document de 46 pages par rapport aux 43 pages de la loi de 2009. Il est reparti en 152 articles par rapport à 150 articles de la loi 2009. Ce nouveau projet de loi sur la fiscalité vient justement réformer le cadre juridique de la loi n° 2009/ 019 du 15 décembre 2009 qui était resté limitée par un cadre législatif restrictif, et dont bon nombre de dispositions étaient devenues obsolètes face aux nouvelles missions de la Collectivité Décentralisée à promouvoir des économies locales, de faciliter de l’accès aux besoins socio – bases et du développement de son territoire.
Le nouveau projet de loi sur la fiscalité vient en outre renforcer l’autonomie financière des CTD en vue non seulement de mieux adresser les exigences de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Générale des CTD d’une part, mais et surtout de permettre la mise en œuvre des actions de développement durable pouvant permettre de réaliser la vision de développement Cameroun 2035.
La nouvelle loi vient pallier aux manquements ou aux insuffisances observés au niveau de la loi n° 2009/ 019 du 15 décembre 2009 au niveau de la politique fiscale et en matière de procédure et de l’administration fiscale.
Elle apporte les innovations majeures en matière de politique fiscale à savoir: i) le relèvement à 1% du taux de droit d’accises spécial destiné au financement de l’enlèvement et du traitement des ordures au bénéfice des CTD ; ii) l’institution d’un Impôt Général Synthétique ( IGS) pour les micro et petites entreprises ( Chiffre d’affaires inférieur à 50 millions Fcfa) en lieu et place de l’impôt libératoire et de sept (07) autres taxes communales ; iii) l’affectation aux régions de l’intégralité du produit du droit de timbre de la carte grise et d’une quotité du produit de la taxe spéciale sur les produits pétroliers (TSPP) destinée à l’entretien routier ; iv) la centralisation par le FEICOM d’une taxe quotte part de 70% du produit des impôts et taxes des régions, affectée à la péréquation, à l’exclusion du droit de timbre les cartes grises. Pour le produit des redevances pétrolières, gazières et minières, ce taux est de 50%.
Elle apporte aussi les innovations en terme de procédure et d’Administration fiscale car elle vient i) transformer les Centres Divisionnaires des Impôts (CDI) en Centres de Fiscalité Locale et des Particuliers (CFLP) afin d’optimiser la collecte des recettes, sous l’encadrement et la responsabilité de l’Administration fiscale ; ii) arrimer les procédures fiscales locales, aux procédures de dématérialisation concernant spécifiquement l’immatriculation, l’émission, la déclaration et le recouvrement des impôts et taxes locales. Il est également envisagé la suppression des paiements en espèce au profit des modes de paiement plus sécurisés, ainsi que l’adaptation des procédures de contrôle, de recouvrement forcé et de contentieux aux spécificités de la fiscalité directe locale.
Toutes ces mesures marquent un grand pas vers l’autonomisation financière des CTD et un souffle nouveau dans la vie des collectivités à partir de 2025 pour une amélioration effective des conditions de vie des populations locales et l’approfondissement du processus de décentralisation.

Mais ce projet de loi sur la fiscalité nous donne l’impression d’être rentré encore en arrière par rapport aux récriminations de la loi de 2009. La centralisation prend le dessus sur la décentralisation, la plupart des impôts et taxes sont collectées par les services fiscaux de l’État ce qui ne garantit pas du tout ou s’éloigne un de l’esprit de l’autonomie administrative et financière mentionnée dans la loi. En dehors des impôts, même les taxes communales sont dorénavant collectées par les services fiscaux de l’état. Taxe d’abattage, droits de fourrière sont liquidés et recouvrés par les services fiscaux de l’État. La taxe de stationnement a disparu. Le droit de timbre communal devient droit de timbre local. Les frais d’assiettes des impôts locaux à 10 % ont été maintenu au profit de l’État lorsqu’on sait que dans le système déclaratif c’est le contribuable qui émet et paie. Le Trésor pay fonctionne, peut être avec une dématérialisation des procédures cela va permettre aux usagers de payer leur impôts et taxe ce qui va accroitre la mobilisation des recettes. Mais qu’en sera-t-il de la comptabilisation de ces recettes, et surtout la connaissance de la nature des recettes sera-t-elle aisée pour une bonne comptabilisation au niveau des CTD ?


Focus Médias Afrique : En adoptant le projet de loi sur la fiscalité locale quel seront désormais les rapports entre la commune et l’Etat central ?
NKE Joseph Anicet : Oui, Il est certain que l’adoption de cette loi sur la fiscalité locale va transformer à coup sur les rapports entre la commune et l’Etat Central, et même toute l’écosystème économique des Collectivités Territoriales Décentralisées. Car la nouvelle loi vient donner plus de dépendance et accroit l’autonomie financière des CTD et va permettre d’optimiser la collecte des recettes, une mobilisation efficace des recettes est essentielle au bon fonctionnement des collectivités locales.
L’amélioration de la collecte des recettes se traduit par une meilleure prestation de services, un développement accru des infrastructures et une amélioration générale de la qualité de vie des habitants. Ce qui va permettre aux régions et aux communes de jouir véritablement de leur autonomie administrative et financière pour la gestion de leurs intérêts.
Focus Médias Afrique : Avec ce projet de loi les communes peuvent-elles maintenant soutenir les projets et culturels ?
NKE Joseph Anicet : Oui comme nous l’avons dit plus haut, ce projet de loi va changer l’écosystème économique et culturel des Collectivités Territoriales Décentralisées. Les collectivités peuvent désormais soutenir plus facilement les projets culturels. Car l’autonomie financière des collectivités peut désormais soutenir les initiatives culturelles sur leur territoire. Elles peuvent redistribuer les ressources financières collectées pour soutenir les projets culturels locaux surtout à l’ère de la digitalisation.

propos recueillis par Thierry EDJEGUE

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