Focus Média Afrique

culture : Deuil et traditions chez les Maka’a du Haut-Nyong

culture : Deuil et traditions chez les Maka'a du Haut-Nyong

Alors qu’il menace de pleuvoir, l’une des filles du défunt se saisit avec empressement du vêtement dans lequel son père a rendu l’âme et le jette sur le toit de la maison. L’acte n’est pas anodin et est supposé calmer les ardeurs du ciel mais cela ne semble pas marcher cette fois. Un oncle rapplique, s’avance vers le mort et lui suggère en langue maternelle de laisser que ses obsèques se passent dans de bonnes conditions. Presque immédiatement , les nuages noirs s’estompent pour laisser échapper des rayons de soleil qui imposent un ciel d’un beau bleu. On dit ici que le mort a entendu et pris en compte les suppliques de cet oncle avec qui il avait gardé de bons rapports.

« Arrêter » la pluie


C’est un moment d’expression et d’exhibition d’une culture et de traditions qu’on croyait disparues et oubliées ici qu’ont offert les obsèques de Aristide SADEMB, l’un des coiffeurs les plus célèbres de la localité de Doumé dans le département du Haut-Nyong, Région de l’Est Cameroun. Âgé de 42 ans, le jeune homme s’est éteint le 17 septembre 2021 après quelques jours de maladie. Ce 25 septembre à l’occasion de ses obsèques censurées par le douloureux rituel d’inhumation, les proches, parents, amis et connaissances du défunt ont tenu à lui offrir des obsèques de ce qu’il y a de plus traditionnel dans le respect d’une africanité dont il savait se réclamer.

« Ikousse »

En cette douloureuse circonstance, les frères, sœurs, cousins, cousines de la compagne mais aussi les ex-compagnes du défunt doivent se livrer à ce qu’on appelle ici « Ikousse » , pratique très présente dans les sociétés africaines. Florine , sœur du défunt explique : «Lorsqu’un homme meurt, toutes les filles avec lesquelles il est sorti, son épouse toutes les sœurs de son épouse ou compagne et même les frères de celles-ci sont considérés comme veuves et veufs . On leur fait les Ikousse, question pour eux de montrer combien ils aimaient leur mari ». La pratique consiste à les « flageller » sans violence autre mesure, à l’aide de nervures de feuilles de bananiers , « pour évaluer leur patience et leur amour » précisera Florine. Tout se fait ici dans les cris et pleurs. Pour les veuves ( l’épouse ou compagne et ses sœurs) , il faudra se déplacer à genoux pour rouler dans la boue et même ramper, pour ensuite se jeter aux pieds du cercueil en larmes. Après cette pratique, il reviendra aux « bourreaux » de circonstance de relever leurs victimes et de les débarrasser par un bain, de toute la saleté accumulée lors des « Ikousse ». Chants, sons de tambour et danse rythmeront la mise en terre du défunt.

Un repas pour faire la paix et davantage resserrer les liens.

Après l’enterrement, un repas est offert par la famille du défunt à la belle-famille, arrosé de quelques boissons enivrantes. « Les deux familles se séparent dans la joie, la paix et la sérénité. Il faut noter qu’une fois qu’il y a eu un lien de mariage, même si le lien est brisé, rupture amoureuse notamment au divorce , on reste assujetti à cette pratique » renchérit notre personne ressource.

À Doumé, comme un peu partout en Afrique, les moments de deuil offrent un spectacle intrigant et parfois choquant pour les moins préparés, en fonction des peuples. L’opportunité, voire la nécessité de ces rites et rituels est souvent scandée au motif d’un lien éternel avec le défunt et de l’influence de celui-ci sur les vivants. Les morts ne sont pas morts, ils nous observent et peuvent agir dans la vie des vivants au gré de leur satisfaction ou de leur mécontentement, croit fortement ici.

Rolande AGONG

Quitter la version mobile