
Le Pr Patrice Nganang adresse un Memo au Ministre Momo Jean de Dieu pour interdire l’utilisation de l’AGLC dans l’enseignement des langues camerounaises. Pour moultes raisons, le linguiste camerounais basé aux États-Unis conseille une nouvelle orientation.
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MEMO POUR L’INTERDICTION DE L’AGLC COMME LANGUE D’ECRITURE, DE PUBLICATION ET D’ENSEIGNEMENT DES LANGUES CAMEROUNAISES [PAR LE TRUCHEMENT DU MINISTRE JEAN DE DIEU MOMO]
Monsieur le Ministre :
J’accède à votre demande, à mon appel, de vous envoyer un mémo décrivant les détails de ma demande. Le but de ce memo est complètement altruiste – c’est-à-dire par amour pour notre peuple, et pour notre pays.
L’AGLC, c’est l’Alphabet Général des Langues Camerounaises, adopté au Cameroun en 1973, par une commission composée de linguistes uniquement, et propulsé par l’ANACLAC (l’Association Nationale des Langues Camerounaise). C’est un instrument de transcription de nos langues, par les linguistes, en fait par les phonéticiens, cad. des linguistes plus spécialisés encore, pour la compréhension de celles-ci par des gens qui n’en sont pas locuteurs natifs – jadis les colons blancs. D’où le rêve dérivé de l’ANACLAC, d’établir une compréhension de chaque langue camerounaise par tout Camerounais, disons, de l’éwondo par un Fulbé, à la lecture. Pour le dire plus simplement, l’AGLC est à la langue, ce que la sténographie du greffier est à la décision écrite du juge. L’AGLC est à la langue ce que la dactylographie est à l’écriture de correspondances administratives. L’AGLC est donc et n’est qu’un instrument de transcription, un moyen rapide et expéditif pour codifier la langue et donc, la prononciation en sauvegardant l’intonation des mots – je prends les exemples du sténo et du dactylo à dessein – pour un non-locuteur, ou pour la compréhension d’un non-locuteur de la langue.
L’AGLC est cependant utilisé aujourd’hui au Cameroun, et c’est ici l’erreur fondamentale, comme instrument d’écriture de nos langues nationales et de publication de manuels et même de livres en nos langues au Cameroun – imaginez des romans écrits en sténo, ou des poèmes écrits en dactylo ! Hilarant, n’est-ce pas ? Or c’est ce qui se passe au Cameroun. Et de ce fait, l’AGLC est utilisé comme instrument d’enseignement de nos langues à l’École Normale Supérieure (ENS), dans les Écoles d’instituteurs, dans les Lycées et Collèges, dans les écoles primaires et maternelles, ce qui est l’aggravation de l’erreur fondamentale de départ. Imaginez des professeurs de langue enseignant la sténographie ou la dactylographie, au lieu d’enseigner le français en classe ! Imaginez l’enseignement du droit ou de la littérature en dactylo ! Il fallait le faire ! Et c’est pourtant ce qui de 1985, date de la première utilisation de l’AGLC comme écriture du medumba dans le syllabaire Ba’Fun Medumba-Bamiléké, pour prendre ma langue maternelle, a eu comme conséquence :
1) La division internes de toutes les communautés linguistiques camerounaises (ici je peux parler du medumba, mais aussi du fulfuldé, de l’éwondo où la même division a lieu), en plusieurs groupuscules qui se combattent comme des crabes, mais dont l’écho des batailles ne parvient pas au public camerounais, car ces batailles ont lieu en langues nationales, dans les sous-groupes et parfois, et surtout d’ailleurs, dans les églises qui utilisent l’ancienne version non phonetisée (et ici, pour le medumba, il y’en a deux)
2) Le recul total de la maitrise de nos langues nationales à tous les niveaux par nos enfants, car, parce que l’AGLC est l’instrument qui est enseigné déjà à la maternelle à la place de l’alphabet régulier (ABCD) que les enfants connaissent, mais est complètement incompréhensible par autres personnes que les linguistes, car c’est après tout un instrument phonétique pour linguistes, nos langues nationales sont du coup enseignées, pour faciliter la tâche, avec le français comme langue de secours, et plusieurs fois par des non-locuteurs, qui parfois d’ailleurs se contentent d’enseigner la linguistique à l’école primaire, au lycée ou au collège au lieu d’y enseigner la langue pour laquelle ils sont payés par l’État
3) L’effacement total de nos langues nationales camerounaises dans la communication usuelle des générations camerounaises contemporaines et futures, parce que pas utilisées dans les réseaux sociaux pourtant écrits – tous les SMS, WhatsApp, se font du coup en français ou en anglais – et donc leur condamnation à la disparition absolue comme langues de communication entre Camerounais du même village, au 21eme siècle
4) La condamnation de 1973-2025 de la production intellectuelle de nos langues nationales à un niveau reptilien (uniquement des manuels d’apprentissage de la langue sont produits en cinquante ans !) et absolument médiocre quand comparée à d’autres langues africaines, et même celles qui sont des langues à ton (Shona, par exemple) comme les linguistes disent que nos langues sont
5) La déconnection des grandes langues camerounaises de leur flux transnational de l’écriture en celles-ci (ainsi le fulfuldé qui est pourtant parlé et écrit au Nigeria, tout comme l’haoussa sont condamnées dans leur variante camerounaise à être indigestibles, et à produire des livres inachetables parce que illisibles).
Parce que mon approche, comme dit au début est altruiste, c’est-à-dire fondée dans un amour total pour notre peuple et pour nos langues (je suis écrivain), je vous fais parvenir en addendum, comme proposition de substitut et donc de remplacement total, des manuels qu’en deux mois seulement j’ai fait écrire pour la langue qui est la mienne, ainsi qu’un programme d’enseignement de ceux-ci. Mon intention ici est, me basant sur mon expérience professionnelle de trente ans d’enseignement au niveau universitaire de langues en Europe et aux Etats-Unis, d’offrir un modèle d’action rapide pour sauver les langues camerounaises (dans l’écrit, la lecture, et bien évidemment dans le parler et la compréhension, les quatre buts pédagogiques universaux), afin qu’elles se remettent rapidement sur le chemin que toutes les autres langues africaines (y compris celles à ton comme le Shona ou autres), ont pris après les indépendances, car nos langues ne sont pas différentes d’elles.
Ceci n’est qu’un memo rapide pour introduire le problème qui demande une intervention urgente, rapide du gouvernement, afin que vous transmettiez comme vous l’avez promis, la demande d’interdiction ici formulée au Ministre compétent en la matière – je crois, au ministre de l’Enseignement Supérieur ou autres. Au besoin, si cela est nécessaire, je vous ferai parvenir un dossier présentant l’état des dégâts.
Je joins à ce mémo une suggestion de solution pragmatique, un modèle (le chapitre 1 du manuel Bangangte I : Ba’Fun Medumba, deux livres de base pour enfants de la maternelle, Yam ABC et Chang, et deux pour classes avancées, Makeki bu Maseug et Mayanku) ainsi qu’un programme d’implémentation, qui peuvent tous les deux demeurer suggestions sans me contrarier aucunement. L’interdiction de l’AGLC comme langue d’écriture, de publication et de diffusion est cependant une décision qui est et sera de toute façon nécessaire, pour l’hygiène intellectuelle de notre peuple, et pour le futur, pour nos enfants, les enfants ne continuant l’erreur de leurs parents peu lettrés, que s’ils faisaient l’école buissonnière.
Respectueusement,
Patrice nganang
Patrice Nganang, Professeur de Rang Magistral, Écrivain
Docteur en Linguistique Appliquée à la Littérature Comparée
Département d’Études Africaines, Africaines-Américaines et Caribéennes
Chef de Département
State University of New York, Stony Brook
Stony Brook, NY 11794-5355