
Le cinéaste Jean-Pierre Bekolo dénonce dans sa derniére publication du 20 Juillet 2025, l’instauration d’un climat de peur qui a émaillé la publication de la liste des candidat retenus pour la présidentielle d’octobre 2025par Elecam. Lisons ensemble :
QUAND LA PEUR TUE LA POLITIQUE
Alors que vendredi 25 juillet, nous étions encore dans l’intelligence du changement par les urnes, croyant — naïvement peut-être — que le processus électoral pouvait encore être un levier pacifique de transformation, le samedi 26, nous avons basculé dans l’ordre de la peur. Un ordre où l’État, au lieu de garantir le débat, a déployé l’intimidation : barrages, casques, boucliers, pick-ups armés, dispositifs antiémeutes.
En moins de vingt-quatre heures, la politique a cédé la place à la terreur.
Ce glissement brutal, Hannah Arendt l’a longuement étudié. Elle n’aurait pas été surprise. Car elle savait que là où la peur devient la règle, la politique disparaît. Elle écrivait que :
« La crainte est le désespoir de ceux qui, pour une raison quelconque, ont refusé d’agir de concert. »
Le Cameroun vit aujourd’hui ce refus.
Le refus d’agir ensemble.
Le refus de faire peuple.
Le refus de laisser la pluralité s’exprimer.
Et ce refus est entretenu par un système de peur : peur de parler, peur de voter, peur de choisir, peur même de penser. Le pouvoir actuel n’exerce pas l’autorité, il organise la crainte.
Pour Arendt, le politique naît là où les hommes parlent et agissent ensemble en liberté. Mais dans un pays où l’intelligence est marginalisée, où toute pensée critique est criminalisée, la peur devient la seule forme de lien social autorisé. Nous ne sommes plus un peuple uni par des idées, mais par le silence qu’on veut nous imposer.
Et pourtant, l’intelligence existe au Cameroun et chez les camerounais y compris dans le système . Elle est là, diffuse, présente dans les rues, les quartiers, les écoles, les réseaux, dans les débats. Elle a cru — un moment — qu’on pouvait réinvestir le politique par les urnes, qu’un homme comme Maurice Kamto, avec ses idées, son langage, sa posture de légalité, pouvait affronter sans violence ce régime malgré que c’est lui qui organise les élections et gagner.
Mais le système n’a pas seulement disqualifié sa candidature. Il a voulu détruire cette hypothèse. Il a montré qu’il ne pouvait pas coexister avec la possibilité d’un peuple libre de faire par lui même son choix. Il fallait donc quitter la sphère de l’intelligence collective et ramener tout le monde à la bêtise de la violence caractéristique des pays africains bref à l’ordre de la peur.
Cette peur n’est pas une émotion individuelle. C’est une stratégie politique. Elle structure tout : les discours, les institutions, la rue, l’administration, les médias. C’est le ciment d’un pouvoir post-politique, un pouvoir qui ne cherche plus l’adhésion mais la paralysie. Et dans ce contexte, la bêtise devient un outil de gouvernance comme le prouve les agitations du ministre de l’administration territoriale Paul Atanga Nji.
Car la bêtise n’est pas l’absence d’intelligence, elle est le refus actif de la faire fonctionner. Elle est cette capacité à faire ce qu’on sait être destructeur, simplement pour garder le contrôle.
Allumer une allumette sur de l’essence, en sachant que ça va exploser : voilà la bêtise de l’africain dans politique.
Faire ce qu’il ne faut pas faire, simplement parce que cela lui permet d’obtenir ce qu’il recherche … une vision à très court termes sans perspective réelle sur l’avenir, parce qu’une fois le feu allumé il ne saura pas
Comment l’éteindre et tout le pays va s’embraser.
Et cette bêtise a un pouvoir redoutable : elle rend l’intelligence folle. Elle la force à fuir, à se cacher, à se taire. Ou à se transformer, pour être tolérée, en bêtise camouflée.
Depuis la colonisation, nous avons hérité d’un système où l’intelligence n’a jamais géré ce pays. Pire : elle en est systématique mentalement exclue. Les fonctions de décision ne sont pas occupées par les plus brillants, mais par les plus dociles. Les plus fourbes et hypocrites. Ceux qui ont appris à dominer par la terreur et non par le bon sens.
Et alors que le monde regarde le Cameroun , nous oscillons entre honte et résignation. Parce que ce que nous vivons dépasse l’élection. C’est une auto-humiliation nationale. Et quand demain, des voix extérieures diront que les Camerounais sont comme tous ces africains incapables de se gouverner, nous dirons qu’ils sont racistes. Pourtant c’est nous qui aurons donné raison aux caricatures.
La peur a triomphé. Et avec elle, la bêtise.
Arendt disait aussi que le courage est la première vertu politique. Le courage de penser. Le courage de parler. Le courage de désobéir à la peur.
Il nous faut désormais, et le gouvernement en premier refuser la normalisation de la peur comme mode de gouvernement. Revenir à la parole, au débat, au conflit assumé. Non pas pour détruire, mais pour reconstruire un espace commun où l’intelligence pourra à nouveau respirer.
La question n’est plus seulement : qui gouverne le Cameroun ? La question est : qu’est-ce qui gouverne ? J’espère que ce ne sont pas les gendarmes et les policiers à tous les carrefours
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