André Marie Mbida : Une reconnaissance historique bafouée par des intérêts divergents

La commémoration du 45ᵉ anniversaire du décès du tout premier ministre et chef d’État du Cameroun, organisée du 2 au 4 mai 2025, nous a permis de nous intéresser à la figure historique de cet homme d’État, encore méconnu du grand public. Afin de mieux comprendre les enjeux liés à cette problématique, nous sommes allés à la rencontre de son fils, Simon Pierre Omgba Mbida, président du comité d’organisation des festivités. Suivez plutôt.

Focus Médias Afrique : Salut Simon Pierre Omgba Mbida et Merci de répondre à nos questions

Simon Pierre Omgba Mbida : Salut à vous et merci pour l’intérêt que vous portez à notre combat

Focus Médias Afrique : Quel est l’historique de la commémoration de l’anniversaire des 45 ans d’André Marie Mbida ? Parlez du choix et du lieu de chacune des activités organisées autour de cette commémoration.

Simon Pierre Omgba Mbida: En réalité, ce devoir de mémoire s’est toujours fait de façon familiale, privée et intime depuis le mois de mai 1981 ma mère Marguerite Mbida avait alors commencé cette célébration. Cet exercice se poursuit jusqu’à présent. La nouveauté est que depuis environ 5 ans, cette commémoration s’est davantage ouverte au public, notamment avec le besoin manifeste et grandissant des jeunes générations qui veulent connaître l’histoire vraie et authentique de l’homme d’Etat puis de découvrir son œuvre politique immense pour le pays. Ainsi, après le retour au Cameroun suite à mon affectation à l’étranger avec quelques âmes de bonne volonté nous avons entrepris d’organiser cette commémoration à Efôk qui demeure néanmoins privée et familiale. Le choix du lieu est tout simplement commandé par le fait que c’est là que repose provisoirement le corps d’André-Marie Mbida au sein de la paroisse de l’église sainte Anne d’Efôk qui assure admirablement depuis 45 ans la garde et la protection de ses restes en attendant la construction d’une sépulture définitive dans son village natal d’Endinding, comme il nous l’avait fortement recommandé de son vivant.

Pour cette 45ème édition on a choisi d’éclater un peu les lieux des différentes activités programmées pour permettre au plus grand nombre de suivre par exemple la conférence sur André-Marie Mbida donné par d’éminents professeurs d’université et autres chercheurs qui est devenue désormais une tradition à la faveur de chaque commémoration de l’anniversaire de son décès. Il m’a semblé que le Musée National est un lieu symbolique par excellence pour évoquer la mémoire et l’œuvre politique de l’homme d’Etat, parce qu’il s’agit d’un ancien haut lieu du pouvoir au Cameroun c’est-à-dire l’ancien palais présidentiel que André-Marie Mbida avait beaucoup fréquenté en son temps.

Focus Médias Afrique: Selon vous, pourquoi la personne d’André Marie Mbida semble-t-elle inconnue du grand public ?

Simon Pierre Omgba Mbida: Je pense que c’est un choix politique délibéré qui a été fait il y’a très longtemps pour volontairement et expressément occulter l’action de l’homme et son œuvre dans le pays. Il faut le dire André-Marie Mbida de par sa stature, ses valeurs, ses idées, ses principes et ses convictions politiques fortes et inébranlables dérange et gêne une certaine catégorie de personnes qui ne peuvent exister politiquement que par cette surenchère et l’effacement politique d’André-Marie Mbida et de son mouvement politique le Parti des Démocrates Camerounais (PDC). Il fallait trouver le moyen de justifier et de légitimer le pouvoir de son successeur immédiat. Alors, il a fallu recourir à des manœuvres ignobles et inavouables pour couvrir l’histoire réelle du Cameroun au profit du nouveau régime à l’époque et cet état des choses concernant particulièrement André-Marie Mbida a perduré jusqu’à une époque récente. Heureusement, grâce aux actions énergiques et multiformes que nous menons depuis quelques années déjà, les lignes sont en train de bouger sérieusement et c’est une très bonne chose pour notre pays.

Focus Médias Afrique: Quels ont été les rapports entre André Marie Mbida et l’actuel président de la République et son régime ?

Simon Pierre Omgba Mbida: Je peux qualifier ces rapports de ceux d’un père avec un fils à qui on apporte soutien et protection de manière désintéressée sans toutefois savoir a priori d’où il vient et ce qu’il deviendra plus tard. Vous savez quand André-Marie Mbida était aux affaires le président Paul Biya n’était encore qu’un enfant donc un élève puis un jeune étudiant. Le président Biya a eu la chance inouïe de rencontrer Mbida dans sa jeunesse avant que celui-ci ne devienne Premier Ministre du Cameroun en 1957 et il a pu bénéficier alors, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, de toute l’assistance dont un enfant comme lui pouvait prétendre ou avoir besoin dans sa vie à l’époque. André-Marie Mbida étant naturellement mort avant l’avènement au pouvoir de Paul Biya en novembre 1982, on ne saurait valablement parler des rapports qu’il a personnellement eu avec son régime. Cependant, la famille Mbida a toujours soutenu l’actuel président et il le sait bien. Mais, avant sa mort en 1980 Mbida avait continué de suivre l’évolution de la carrière de celui qui allait devenir un jour Président de la République et faire ce qu’il avait à faire en sa faveur auprès du président Ahidjo qui le consultait parfois.

Focus Médias Afrique: Quel regard les autorités jettent-elles sur les manifestations liées aux commémorations de l’anniversaire des 45 ans de décès du premier ministre du Cameroun organisées par sa famille ?

Simon Pierre Omgba Mbida: Je crois que c’est avec satisfaction et encouragement que le cœur du pouvoir à Yaoundé regarde l’action qui est menée pour la mémoire et la reconnaissance de l’œuvre politique de mon père pour le pays tout entier. A ce propos, j’ai d’ailleurs reçu les félicitations du Ministre Directeur du Cabinet Civil de la Présidence de la République, Monsieur Samuel Mvondo Ayolo à l’issue des cérémonies du dimanche 4 mai dernier à Efôk. C’est évidemment très réconfortant et encourageant pour moi à titre personnel ainsi que pour toute la famille qui apprécie naturellement ce soutien qui est celui du Chef de l’Etat.

Focus Médias Afrique: Originaire du département de la Lékié, quelle est la contribution des élites et des personnes ressources à la réussite de cet événement ?

Simon Pierre Omgba Mbida: Elle est quasi nulle pour ne pas dire inexistante, hormis quelques individualités que l’on peut compter sur les doigts d’une main et que vous avez pu apercevoir durant les cérémonies dont, entre autres, les deux Chefs supérieurs du département. C’est une honte en 2025. Mais je ne leur en veux pas. C’est leur problème. Sachant que ce n’est pas le président Paul Biya qui leur demande de se tenir à l’écart des évènements concernant André-Marie Mbida. C’est leurs propres petits calculs politiques personnels et individuels qui n’engagent qu’eux seuls. Mais ça ne m’empêche pas du tout d’avancer au contraire ça me galvanise davantage.

Focus Médias Afrique: Quel est l’héritage d’André Marie Mbida au Cameroun ?

Simon Pierre Omgba Mbida: L’héritage politique d’André-Marie Mbida est immense. On pourrait et on devrait écrire des livres entiers sur sa pensée politique, son action politique et son œuvre dans le pays sur des thématiques diverses ou plurielles. André-Marie Mbida a eu une dimension nationale et internationale dans son parcours politique. En tant qu’élu il a représenté le Cameroun dans des instances internationales d’abord à l’assemblée nationale en France comme député du Cameroun, il a participé en 1955 à la conférence de Bandung en Indonésie pour représenter le Cameroun dans le groupe des pays sous la houlette de la France à l’époque et défendre la position du groupe des non-alignés, il était favorable à la diversification des partenariats déjà à son époque dans la perspective de l’indépendance à venir pour densifier la coopération et faciliter l’industrialisation rapide du pays, il a aussi défendu l’idée d’une indépendance totale et complète du Cameroun aux Nations Unies à New-York aux Etats-Unis en 1959 en dénonçant avec force et courage l’indépendance factice que la France s’apprêtait à donner en 1960 avec à la clé la signature forcée des accords de coopération néocoloniaux à l’avantage unique de ce pays. Toute sa vie André-Marie Mbida s’est battu pour la démocratie, la justice et la paix dans son pays. Au plan économique, il avait opté pour l’économie de marché avec le libéralisme comme support idéologique afin de défendre l’initiative privée et la propriété privée. Au plan administratif et de l’organisation de l’Etat, il avait opté pour la régionalisation et donc pour la décentralisation avec le découpage du pays en 10 régions comme nous le connaissons aujourd’hui. A l’époque, il fut vigoureusement combattu pour cette vision futuriste en étant accusé à tort de vouloir balkaniser le pays à cause de sa forte diversité culturelle et ethnique. Il estimait alors que c’était le meilleur mode de gouvernance pour un pays aussi diversifié linguistiquement et culturellement comme le nôtre. Je me réjouis de constater, avec satisfaction, aujourd’hui que le Cameroun est un Etat unitaire décentralisé comme l’avait proposé en 1960 André-Marie Mbida. C’est une évolution positive de ce point de vue et une autre preuve de son esprit visionnaire. Il avait réellement pensé le devenir du Cameroun en long et en large. Je peux donc conclure sans risque d’être contredit que les idées politiques de Mbida sont insénescentes, car elles demeurent toujours d’actualité au 21ème siècle. André-Marie Mbida est un homme d’Etat qui avait de très grandes ambitions pour le Cameroun et qui est un modèle d’homme politique et d’homme de foi (parce qu’il était profondément croyant en tant que chrétien catholique pratiquant) pour les générations actuelles et futures, dont l’œuvre et l’action méritent d’être connues et perpétuées.

Focus Médias Afrique: Quel est l’objectif visé par cette commémoration de l’anniversaire de décès ?

Simon Pierre Omgba Mbida: Ce que nous demandons de manière récurrente voire permanente et le Président de la République a déjà été officiellement saisi à ce sujet ; c’est que le Chef de l’Etat accède à notre requête tendant à remettre au Premier Ministre, Chef de l’Etat, André-Marie Mbida, à titre de régularisation, ses insignes de Grand Maître des Ordres Nationaux qu’il créa par une loi de 1957 et auxquels il a statutairement droit conformément à la législation en vigueur à l’époque pour que justice lui soit enfin rendue par rapport à cet aspect particulier de sa vie publique et politique dans le cadre des très hautes fonctions qu’il avait exercé pour le plus grand bonheur de notre pays et de ses populations, dont nous bénéficions encore aujourd’hui des effets positifs. Cette remise des insignes doit se faire lors d’une cérémonie républicaine d’envergure nationale en présence du Président de la République ou de son représentant personnel. Par ailleurs, il est aussi grand temps qu’un monument porte le nom d’André-Marie Mbida à Yaoundé et dans d’autres villes du Cameroun sans oublier la nomination des rues à son nom. Alors, pourquoi ne pas nommer le stade d’Olembe Stade André-Marie Mbida ? Ce serait très bien à mon humble avis eu égard à toute l’œuvre immense accomplie pour le pays en tant que père fondateur de l’Etat du Cameroun en 1957.

Propos recueillis par Thierry EDJEGUE

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