Parcours d’un artiste hors normes, de l’école primaire aux amphithéâtres des plus grandes universités du monde.
Il y a quarante ans, dans le village d’Akak, un jeune garçon prenait une décision qui allait bouleverser sa vie : refuser de poursuivre ses études secondaires. Pour sa famille, c’était une hérésie. Pour lui, une intuition. Christian Etongo ne voulait pas seulement apprendre, il voulait créer. Et surtout, il voulait guérir les autres, et lui-même par l’art.

Aujourd’hui, son nom résonne bien au-delà des frontières du Cameroun. Ses œuvres sont étudiées dans des institutions prestigieuses : l’Académie royale des beaux-arts de Copenhague (2016), l’Université de Bergen en Norvège (2018-2019), et depuis 2025, deux de ses performances sont archivées à l’Université de Cape Town, dans une base de données dédiée à la recherche en art vivant. Une reconnaissance rare pour un artiste autodidacte, vivant, et profondément enraciné dans les traditions de son pays.
Le théâtre et la danse comme tremplin
Avant de devenir une figure de l’art performance, Etongo a fait ses armes sur les planches. Danseur et comédien dans les années 1990, il rejoint les compagnies Massey Move de Berthe Effala, puis Black Roots de Marcel Ngoua. Très vite, il cherche à dépasser les codes classiques du spectacle vivant. En 1997, il présente La mort et le fou à Yaoundé, une œuvre hybride qu’il qualifie de « spectacle d’art plastique ».
Cette même année, une rencontre change sa trajectoire : le plasticien Pascale Marthine Tayou, intrigué par son travail, lui révèle qu’il pratique en réalité l’art performance. Il lui remet une documentation que le jeune artiste dévore. C’est une révélation. Etongo comprend qu’il a trouvé sa voie. Il abandonne le théâtre et la danse pour se consacrer entièrement à cette forme d’expression encore marginale au Cameroun.

L’art comme rituel
Depuis, Christian Etongo est devenu l’un des porte-voix les plus singuliers de la performance rituelle en Afrique centrale. Sa démarche artistique s’ancre dans les rites mystiques béti, qu’il revisite avec une esthétique contemporaine. Il ne se considère pas seulement comme un artiste, mais comme un guérisseur, un passeur entre les mondes visibles et invisibles.
Trois éléments rituels forment sa signature scénique : une poupée baptisée Simba, un chasse-mouche symbolique, et une chasuble rouge, couleur de vie. Ces objets ne sont pas de simples accessoires : « Je me suis rendu compte que j’ai besoin d’éléments rituels comme un prêtre. Ils me mettent en condition mentale et spirituelle », confiait-il sur le plateau de ATV Soir il y’a quelque années
Il explore des rites comme le Tso (rite expiatoire et purificatoire) ou l’Essani (danse funéraire), ce qui peut parfois dérouter un public non averti, prompt à crier à la sorcellerie. Mais pour Etongo, il s’agit d’un langage sacré, d’un théâtre de l’âme.

TOTEM, manifeste d’un continent blessé
Parmi ses œuvres majeures, TOTEM occupe une place centrale. Créée en 2019 pour le Musée des Cinq Continents à Munich, cette performance interroge la question du retour des artefacts africains spoliés par l’Occident. En 2025, il la présente au Musée Tinguely de Bâle, dans le cadre du Festival Culturescapes Sahara.
Au cœur de la performance, neuf masques rituels. Le dixième, volé, doit être retrouvé par le Ngue’Nguang, maître spirituel. Le passeur de lumière traverse alors plusieurs rites — Bisim, Tso, Esié — symboles de purification, de guérison et de réconciliation. Moment fort : Etongo fait fondre une bougie blanche sur son front, la cire brûlante coulant sur son visage. « Le front représente la tête du Totem. La cire est un symbole de renaissance. L’Afrique doit cesser de pleurer sur son passé pour composer avec le présent », explique-t-il.

Une œuvre en perpétuelle mutation
Trente ans après ses débuts, Christian Etongo n’a rien perdu de sa fougue. Il a créé une vingtaine de performances, exposé dans plus de dix pays, et continue de creuser son sillon, entre art, spiritualité et mémoire. Son œuvre, viscérale et dérangeante, est une tentative de réconciliation entre l’individu et ses racines, entre le passé et le futur.
Loin d’avoir plafonné, le performeur semble amorcer une nouvelle phase de sa trajectoire : plus introspective, plus universelle, peut-être plus radicale encore. Une chose est sûre : tant que Simba l’accompagnera, Christian Etongo continuera de faire vibrer les esprits.
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