C’est en tout cas l’impression laissée par les nombreux artistes locaux, qui ne s’accordent pas sur le mot d’ordre de grève lancé contre cette célébration.
On l’avait imaginé un peu morose c’est vrai. La fête de la musique, journée d’euphorie, d’invasion et de gloutonnerie musicale était donnée pour subir cette année encore le coup de la pandémie à covid 19, avec l’interdiction plus ou moins systématique des regroupements et autres spectacles.
Une note triste qui s’est vue renforcée par des appels à boycott de cette 29 ème édition. Appels à boycott, qui sont venus remettre sur la table, la fâcheuse et disons-le encore une fois, disgracieuse question du statut de l’artiste camerounais. « Zéro 21 juin, l’art coule les larmes de sang » le slogan s’est fait entendre des semaines durant, pour marquer un ras le bol agaçant au regard de ce qui est présenté comme le silence gouvernemental sur la question du statut de l’artiste Camerounais.
« Ce que nous réclamons au Gouvernement camerounais aujourd’hui c’est qu’il nous accorde un statut de l’artiste parce que lorsque nous arrivons quelque part pour nous présenter comme artiste, on nous pose la question de savoir ce que nous faisons en dehors de notre métier d’artiste. C’est une aberration. Pourquoi ne pouvons-nous pas être considérés comme des travailleurs? Le Cameroun est l’un des rares pays au monde qui ne veut pas accorder un statut à l’artiste, Voilà les raisons de notre boycott ». Ces mots de l’artiste Dr Jockey présentent des réclamations nobles. Des réclamations qui reçoivent paradoxalement en face, en guise de réponse de nombreuses annonces de spectacles dans les grandes métropoles. Le chien aboie, la caravane passe peut-on en conclure.
Une caravane qui a à son bord, non seulement les instances en charge du secteur, mais aussi l’ensemble du gouvernement Camerounais soutenu et même appuyé par des artistes de renom. Stéphane mélomane indique : « En fait c’est comme si ce sont les petits artistes ou les artistes qui ne sont plus trop en vue qui parlent de boycott. Les autres ont accepté des cachets pour prester ce jour et d’autres ont même programmé leurs spectacles. On ne comprend rien». Des réclamations qui aux côtés d’autres, donnent à réaliser le malaise qui perdure dans l’univers musical et même artistique camerounais. En 2020 par exemple, l’on assistait à l’avènement du MACICA (Mouvement des auteurs, compositeurs et interprètes du Cameroun), aux allures de mouvement d’humeur militant lui aussi pour l’application des droits d’auteur.
C’est donc peu de le dire, la lutte pour la définition d’un statut de l’artiste divise les artistes eux-mêmes, et ce 21 juin 2021 en fera une parfaite illustration. Un statut qui a pourtant pour objectif d’aménager des conditions de vies adéquates et décentes à l’artiste, dans un contexte camerounais qui ne semble pas vouloir faire de la promotion et de la valorisation de sa culture, une priorité, ni même lui conférer au-delà des discours tout son poids. Pas de politique culturelle mise en place, et que dire de la faible enveloppe allouée au département ministériel en charge?
Cette cacophonie pourrait cependant s’expliquer non par un quelconque désintéressement de la part des artistes, ni une quelconque ignorance ou insouciance, mais une sorte de résignation face à un système qui ne semble ni prêt ni disposé à comprendre l’urgence de la question. En attendant, ce 21 juin 2021 on ignore tout appel au boycott et on célèbre la fête de la musique. On la célèbre parce qu’il faut bien payer ses factures, on la célèbre parce que les revendications de cet ordre au Cameroun restent toujours lettres mortes. Et peu importe le nombre de tristes et insoutenables S.O.S que lanceront encore des artistes frappés par la maladie et croupissant dans la misère, il va falloir faire avec, être artiste au Cameroun c’est aussi simplement savoir souffler sur sa propre cuillère.
Rolande Agong
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